Juge des enfants au Tribunal de Bobigny, Édouard Durand a coprésidé la commission indépendante sur l’inceste et les violences sexuelles faites aux enfants. Très attaché à la protection de l’enfance, il explique que c’est lorsqu’il a réalisé l’ampleur des violences conjugales qu’il est « entré » dans sa fonction de juge.
Faut qu’elle parle, il paraît.
Alors comme ça, ce sera réglé. Et si le mec a recommencé, c’est qu’elle n’a pas parlé assez. Pas assez fort. Pas assez clair.
Sa parole était nécessaire, et puis voilà, elle a manqué. Après qui sait, peut-être qu’au fond, elle n’avait pas vraiment dit non. Si ça se trouve elle l’a bien cherché. Oui, à dix ans, elle l’a cherché. Son père, faut pas le provoquer. Elle le sait bien, non ? Le secret, il lui a dit de garder le secret. Ben là fallait pas l’écouter. Fallait parler, parler, parler.
Hey gamine on est désolés, les règles du jeu, tu les connais. Pas de notre faute si t’as déconné…
Voilà, ça y est : culpabilité inversée, et l’impunité assurée. Le système toujours bien gardé, en France on peut violer peinard, ils dorment tranquille, tous ces gaillards…
Les femmes, les enfants, bouche cousue, turlututu, chapeau pointu, langue clouée, mots verrouillés, tu peux y aller, t’as qu’à te pencher, c’est facile tu vas ramasser, tu verras elle va pas moufter… On dit « la parole se libère », et toi tu ris, tu manques pas d’air, toi tu sais bien qu’on les fait taire, toi tu sais qu’elles ont essayé, et encore essayé de parler, mais qu’autour d’elles, elles n’ont trouvé que des oreilles bien bouchées, alors toi tu peux continuer.
Une création de Giulia Foïs pour En marge, France Inter, 2023, 54 minutes